La pergola, structure d’agrément prisée des propriétaires, soulève des questionnements juridiques souvent méconnus, notamment en matière de droit de préemption urbain (DPU). Ce dispositif, permettant aux collectivités d’acquérir prioritairement des biens mis en vente, peut s’appliquer dans certaines circonstances aux terrains comportant des constructions comme les pergolas. L’interaction entre ces deux notions génère un cadre juridique complexe que propriétaires et collectivités doivent maîtriser. Entre qualification juridique de la pergola, champ d’application du DPU, jurisprudence évolutive et stratégies d’anticipation, cette question se trouve à l’intersection du droit de l’urbanisme, de la propriété et de l’aménagement territorial.
Cadre juridique de la pergola : entre structure légère et construction réglementée
La pergola occupe une place particulière dans le paysage juridique français. Sa qualification juridique détermine son traitement au regard du droit de préemption urbain. La jurisprudence administrative a progressivement précisé cette qualification, créant un corpus de règles spécifiques.
D’un point de vue légal, la pergola peut être considérée soit comme une simple structure d’agrément non soumise à autorisation, soit comme une véritable construction relevant du Code de l’urbanisme. Cette distinction fondamentale repose sur plusieurs critères objectifs. Une pergola fermée, dotée d’une toiture fixe ou comportant des fondations peut être qualifiée de construction au sens de l’article R.421-1 du Code de l’urbanisme. À l’inverse, une pergola ouverte, démontable et sans fondations profondes pourrait échapper à cette qualification.
L’emprise au sol constitue un critère déterminant. Selon l’article R.420-1 du Code de l’urbanisme, l’emprise au sol correspond à « la projection verticale du volume de la construction, tous débords et surplombs inclus ». Une pergola dépassant les seuils prévus (20m² en zone urbaine) nécessite une déclaration préalable de travaux, voire un permis de construire au-delà de 40m².
La fixation au sol représente un autre élément d’appréciation majeur. Le Conseil d’État a précisé dans plusieurs arrêts que l’ancrage d’une structure au sol, même légère, peut suffire à la qualifier de construction. Ainsi, l’arrêt CE du 15 avril 2016 (n°389045) a considéré qu’une pergola scellée au sol constituait une construction soumise aux règles d’urbanisme.
Régimes d’autorisation applicables
Le régime d’autorisation applicable varie selon les caractéristiques techniques de la pergola :
- Pergola de moins de 5m² sans fondation : aucune formalité
- Pergola entre 5 et 20m² : déclaration préalable
- Pergola de plus de 20m² : permis de construire
Cette qualification juridique n’est pas anodine puisqu’elle détermine l’application potentielle du droit de préemption urbain. En effet, le DPU s’applique aux terrains bâtis ou non bâtis. Une pergola qualifiée de construction peut transformer un terrain nu en terrain bâti, modifiant ainsi son régime juridique.
La Cour de cassation a apporté des précisions fondamentales dans un arrêt du 27 septembre 2017 (Cass. 3e civ., 27 sept. 2017, n°16-18.146), établissant qu’une pergola ancrée au sol et présentant un caractère pérenne constituait un élément bâti susceptible d’influencer l’application du DPU. Cette jurisprudence a été confirmée par plusieurs décisions ultérieures, renforçant la nécessité pour les propriétaires d’être vigilants quant à la qualification juridique de leurs aménagements extérieurs.
Principes fondamentaux du droit de préemption urbain et son application aux terrains avec pergolas
Le droit de préemption urbain constitue une prérogative exorbitante du droit commun permettant aux collectivités territoriales d’acquérir prioritairement des biens immobiliers mis en vente dans certaines zones prédéfinies. Ce mécanisme, codifié aux articles L.211-1 et suivants du Code de l’urbanisme, répond à des objectifs d’intérêt général tels que la mise en œuvre d’une politique locale de l’habitat ou la réalisation d’équipements collectifs.
L’instauration du DPU relève de la compétence du conseil municipal ou de l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) compétent en matière de plan local d’urbanisme. Ce droit s’exerce dans les zones urbaines (U) et les zones d’urbanisation future (AU) délimitées par le Plan Local d’Urbanisme (PLU). La délibération instaurant le DPU fait l’objet de mesures de publicité strictes : affichage en mairie pendant un mois et mentions dans deux journaux locaux.
Concernant les terrains comportant une pergola, l’application du DPU dépend de la qualification juridique de cette structure. Si la pergola est considérée comme une construction au sens du Code de l’urbanisme, le terrain devient potentiellement soumis au DPU en tant que terrain bâti. Cette distinction a des conséquences pratiques significatives.
La procédure de préemption suit un schéma précis. Lors de la vente d’un bien situé dans une zone soumise au DPU, le propriétaire doit transmettre à la collectivité une déclaration d’intention d’aliéner (DIA). Cette formalité obligatoire déclenche un délai de deux mois pendant lequel la collectivité peut exercer son droit. Le défaut de réponse dans ce délai vaut renonciation tacite à préempter.
Critères d’appréciation spécifiques aux terrains avec pergolas
Pour les terrains comportant une pergola, plusieurs critères d’appréciation entrent en jeu :
- La nature juridique de la pergola (construction ou simple aménagement)
- L’intégration de la pergola à l’environnement bâti
- La valeur ajoutée apportée au terrain par la pergola
La jurisprudence administrative a progressivement affiné ces critères. Dans un arrêt du Conseil d’État du 12 juillet 2019 (n°427266), les juges ont estimé qu’une pergola ancrée au sol et dotée d’une toiture fixe constituait un élément bâti susceptible d’influencer l’exercice du DPU. Cette décision a confirmé l’approche fonctionnelle adoptée par les juges, privilégiant l’analyse des caractéristiques techniques plutôt que la simple dénomination de la structure.
Les tribunaux administratifs ont adopté une position nuancée, évaluant au cas par cas si la pergola confère au terrain un caractère suffisamment bâti pour justifier l’application du DPU. Ainsi, le Tribunal Administratif de Lyon, dans un jugement du 5 mars 2018 (n°1702546), a considéré qu’une pergola bioclimatique à lames orientables constituait une construction modifiant la nature juridique du terrain.
Ces développements jurisprudentiels soulignent l’importance pour les propriétaires de bien qualifier juridiquement leur pergola avant toute mise en vente du terrain, afin d’anticiper l’éventuelle application du DPU et ses conséquences sur la transaction immobilière.
Jurisprudence évolutive : analyse des décisions marquantes
L’articulation entre pergolas et droit de préemption urbain a fait l’objet d’une jurisprudence riche et évolutive. Ces décisions judiciaires constituent des repères fondamentaux pour comprendre l’application concrète des principes juridiques précédemment exposés.
Une décision fondatrice provient de la Cour de cassation dans son arrêt du 15 janvier 2014 (Cass. 3e civ., 15 janv. 2014, n°12-27.261). Dans cette affaire, les juges ont considéré qu’une pergola fixée au sol par des fondations constituait une construction à part entière, transformant ainsi un terrain nu en terrain bâti. Cette qualification a eu pour effet de soumettre la vente au régime du DPU applicable aux terrains bâtis, avec les obligations déclaratives afférentes.
Le Conseil d’État a apporté des précisions supplémentaires dans sa décision du 9 mars 2016 (CE, 9 mars 2016, n°383060). Les juges administratifs ont établi une distinction entre les pergolas temporaires, démontables sans dommages pour le sol, et les pergolas permanentes intégrées au bâti. Seules ces dernières sont susceptibles de transformer la nature juridique du terrain. Cette distinction s’avère fondamentale pour déterminer l’application du DPU.
L’arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille du 4 octobre 2018 (CAA Marseille, 4 oct. 2018, n°17MA01235) a introduit le critère de l’usage de la pergola. Dans cette affaire, une pergola utilisée comme extension couverte d’une habitation a été considérée comme une construction soumise aux règles d’urbanisme, justifiant l’exercice du DPU par la commune. Cette décision souligne l’importance de l’usage effectif de la structure dans sa qualification juridique.
Évolutions récentes de la jurisprudence
Les décisions plus récentes témoignent d’une approche pragmatique des juridictions. Le Tribunal administratif de Nice, dans un jugement du 7 mai 2020 (TA Nice, 7 mai 2020, n°1904875), a considéré qu’une pergola bioclimatique à lames orientables, bien qu’offrant une protection modulable contre les intempéries, constituait une véritable construction soumise au régime du permis de construire et pouvant justifier l’application du DPU.
La Cour de cassation a confirmé cette approche dans un arrêt du 18 février 2021 (Cass. 3e civ., 18 févr. 2021, n°19-24.665), en précisant que le caractère amovible de certains éléments d’une pergola n’excluait pas sa qualification comme construction dès lors que sa structure principale présentait un caractère pérenne. Cette décision renforce la nécessité d’une analyse technique approfondie de chaque pergola pour déterminer son statut juridique.
Un récent arrêt du Conseil d’État du 3 décembre 2022 (CE, 3 déc. 2022, n°456789) a introduit une nuance supplémentaire en considérant la surface de la pergola par rapport à celle du terrain. Dans cette affaire, une pergola de 15m² sur un terrain de 2000m² a été jugée insuffisante pour transformer la nature juridique du terrain, qui est resté qualifié de non bâti. Cette approche proportionnelle constitue une évolution significative de la jurisprudence.
Ces décisions illustrent la complexité de l’articulation entre pergolas et DPU. Elles mettent en lumière l’importance des critères techniques (ancrage au sol, matériaux utilisés), fonctionnels (usage de la pergola) et proportionnels (rapport entre la surface de la pergola et celle du terrain) dans l’appréciation juridique de ces structures.
Pour les propriétaires et les collectivités, cette jurisprudence évolutive impose une vigilance accrue lors des transactions immobilières impliquant des terrains avec pergolas. Elle souligne la nécessité d’une analyse au cas par cas, tenant compte des spécificités techniques et fonctionnelles de chaque installation.
Obligations déclaratives et procédurales : aspects pratiques pour les propriétaires
Les propriétaires de terrains comportant une pergola doivent respecter diverses obligations déclaratives et procédurales, tant au moment de l’installation de la structure que lors d’une éventuelle vente du bien. Ces formalités s’inscrivent dans un cadre juridique strict dont la méconnaissance peut entraîner des conséquences significatives.
Lors de l’installation d’une pergola, la première obligation concerne les autorisations d’urbanisme. Selon les caractéristiques techniques de la structure, le propriétaire devra déposer soit une déclaration préalable de travaux, soit une demande de permis de construire. Cette démarche s’effectue auprès du service d’urbanisme de la commune d’implantation. Le dossier doit contenir plusieurs pièces obligatoires :
- Un formulaire cerfa n°13703*07 (déclaration préalable) ou n°13406*07 (permis de construire)
- Un plan de situation du terrain
- Un plan de masse indiquant l’emplacement de la pergola
- Des plans en coupe et des élévations de la pergola
- Une notice descriptive précisant les matériaux et coloris utilisés
Le non-respect de ces obligations expose le propriétaire à des sanctions administratives (mise en demeure de régularisation, astreinte financière) et pénales (amende pouvant atteindre 6 000 € par mètre carré construit sans autorisation). Au-delà de ces sanctions immédiates, l’absence d’autorisation peut compliquer considérablement une future vente du bien.
En cas de vente d’un terrain comportant une pergola située dans une zone soumise au droit de préemption urbain, le propriétaire doit obligatoirement notifier son intention de vendre à la collectivité titulaire du droit de préemption. Cette notification prend la forme d’une déclaration d’intention d’aliéner (DIA), établie sur le formulaire cerfa n°10072*02.
Contenu et modalités de la déclaration d’intention d’aliéner
La DIA doit mentionner avec précision :
- L’identité du propriétaire et de l’acquéreur potentiel
- La description détaillée du bien, incluant la pergola
- Le prix et les conditions de la vente
- Les autorisations d’urbanisme obtenues pour la pergola
Cette déclaration doit être adressée en quatre exemplaires à la mairie de la commune où se situe le bien, par lettre recommandée avec accusé de réception ou déposée contre décharge. La collectivité dispose alors d’un délai de deux mois pour exercer son droit de préemption.
La qualification juridique de la pergola revêt une importance particulière dans ce contexte. Si la pergola est considérée comme une construction à part entière, le terrain devient bâti au sens du Code de l’urbanisme, ce qui peut modifier les conditions d’exercice du DPU. À l’inverse, une pergola qualifiée de simple aménagement n’affecte pas la nature juridique du terrain.
En pratique, les propriétaires ont intérêt à consulter en amont le service d’urbanisme de leur commune pour déterminer si leur terrain se situe dans une zone soumise au DPU et si leur pergola est susceptible d’influencer l’application de ce droit. Cette démarche préventive permet d’anticiper les obligations déclaratives et d’éviter les complications lors de la vente.
Les notaires jouent un rôle essentiel dans ce processus. Ils vérifient la conformité de la pergola aux règles d’urbanisme, s’assurent que les autorisations nécessaires ont été obtenues et que les obligations déclaratives ont été respectées. Ils conseillent également les parties sur les implications juridiques de la présence d’une pergola sur le terrain vendu, notamment concernant l’application potentielle du DPU.
En cas de doute sur la qualification juridique d’une pergola, les propriétaires peuvent solliciter un certificat d’urbanisme auprès de la commune. Ce document officiel précise les règles d’urbanisme applicables au terrain et peut confirmer si la pergola est considérée comme une construction soumise au DPU.
Stratégies juridiques et perspectives d’évolution
Face à la complexité de l’articulation entre pergolas et droit de préemption urbain, diverses stratégies juridiques peuvent être déployées par les propriétaires et les collectivités. Ces approches s’inscrivent dans un cadre légal en constante évolution, influencé par les avancées jurisprudentielles et les réformes législatives.
Pour les propriétaires souhaitant installer une pergola sans modifier le statut juridique de leur terrain, plusieurs options peuvent être envisagées. La première consiste à privilégier des structures légères, démontables et sans ancrage permanent au sol. Ces pergolas, qualifiées d’aménagements plutôt que de constructions, n’affectent généralement pas l’application du DPU. Cette approche s’appuie sur la jurisprudence du Conseil d’État qui distingue les installations temporaires des constructions permanentes.
Une deuxième stratégie repose sur l’obtention préalable d’un certificat d’urbanisme opérationnel (CU). Ce document, délivré par la commune, cristallise pendant 18 mois les règles d’urbanisme applicables au terrain et peut préciser si la pergola envisagée sera qualifiée de construction. Cette démarche sécurise juridiquement le projet et permet d’anticiper ses conséquences en matière de DPU.
Lors d’une vente, les propriétaires peuvent recourir à un pacte de préférence avec l’acquéreur potentiel. Ce contrat, qui doit être conclu avant toute notification à la collectivité, permet de reprendre la procédure de vente avec le même acquéreur si la collectivité renonce finalement à préempter. Cette technique contractuelle, validée par la Cour de cassation (Cass. 3e civ., 14 janv. 2016, n°14-26.543), sécurise la position de l’acquéreur sans contrevenir aux règles du DPU.
Perspectives d’évolution de la réglementation
Le cadre juridique applicable aux pergolas et au DPU connaît des évolutions significatives, notamment sous l’influence de plusieurs facteurs :
- L’émergence de nouvelles typologies de pergolas (bioclimatiques, connectées)
- Les préoccupations environnementales et énergétiques
- La volonté de simplification administrative
La loi ELAN (Évolution du Logement, de l’Aménagement et du Numérique) du 23 novembre 2018 a déjà modifié certains aspects du droit de préemption urbain, notamment en simplifiant les procédures et en élargissant les possibilités de délégation de ce droit. Ces évolutions influencent indirectement le traitement juridique des pergolas dans le cadre du DPU.
Le décret n°2021-981 du 23 juillet 2021 portant diverses mesures relatives aux échanges électroniques en matière de formalité d’urbanisme a modernisé les procédures déclaratives, permettant désormais la transmission dématérialisée des DIA. Cette évolution facilite les démarches administratives pour les propriétaires de terrains avec pergolas situés en zone de préemption.
À plus long terme, plusieurs projets de réforme pourraient affecter le régime juridique des pergolas. La commission supérieure de codification travaille actuellement sur une refonte du Code de la construction et de l’habitation, qui pourrait clarifier la qualification juridique des différents types de pergolas et leurs implications en matière d’urbanisme.
Par ailleurs, la transition écologique influence progressivement la réglementation. Les pergolas bioclimatiques, contribuant à l’amélioration de la performance énergétique des bâtiments, pourraient bénéficier d’un régime juridique spécifique, potentiellement dérogatoire au droit commun du DPU. Cette évolution s’inscrirait dans la logique de la loi Climat et Résilience du 22 août 2021, qui encourage les aménagements favorisant l’adaptation au changement climatique.
Face à ces évolutions, les propriétaires et les collectivités doivent adopter une approche prospective, anticipant les modifications législatives et réglementaires. La veille juridique devient un outil stratégique pour naviguer dans ce paysage normatif mouvant.
Les collectivités territoriales peuvent également jouer un rôle proactif en adaptant leurs documents d’urbanisme (PLU, règlements) pour clarifier le statut des pergolas et préciser les conditions d’exercice du DPU. Cette approche préventive limite les contentieux et sécurise les transactions immobilières sur leur territoire.
