Face à la multiplication des actifs numériques dans nos vies, la question de leur transmission posthume devient fondamentale. Le pacte successoral numérique émerge en 2025 comme solution juridique adaptée à cette nouvelle réalité. Ce dispositif contractuel permet d’organiser précisément la transmission de notre identité virtuelle, de nos cryptomonnaies, de nos données personnelles et de nos comptes en ligne. Entre vide juridique persistant et innovations législatives récentes, ce nouvel instrument répond aux défis spécifiques posés par l’immatérialité de ces biens et leur caractère transnational.
Fondements juridiques du pacte successoral numérique
Le pacte successoral numérique s’inscrit dans l’évolution du droit civil français, traditionnellement réticent aux pactes sur succession future. Depuis la réforme du 23 juin 2006, les exceptions à cette prohibition se sont multipliées, créant un terreau favorable à l’émergence de cet instrument spécifique. La loi du 7 octobre 2023 pour une République numérique posthume constitue le socle législatif principal de ce dispositif, en reconnaissant explicitement la valeur patrimoniale des actifs numériques.
Cette loi s’articule avec le Règlement européen sur les services numériques (DSA) qui, depuis son entrée en vigueur complète en février 2024, impose aux plateformes des obligations concernant le traitement des comptes de personnes décédées. Le pacte successoral numérique trouve ainsi sa légitimité dans ce corpus normatif hybride, à la frontière du droit des successions et du droit du numérique.
Sur le plan technique, ce pacte se distingue du testament classique par sa nature contractuelle. Il s’agit d’une convention tripartite entre le disposant, ses héritiers présomptifs et un tiers certificateur (généralement un notaire spécialisé ou un prestataire de services de certification numérique agréé). Cette structure permet de résoudre l’une des principales difficultés de la succession numérique : l’opposabilité aux plateformes internationales qui hébergent les actifs concernés.
La jurisprudence a progressivement consolidé la validité juridique de ces pactes. L’arrêt de la Cour de cassation du 17 mars 2024 (Civ. 1ère, n°23-15.742) a notamment reconnu leur force obligatoire face aux conditions générales d’utilisation des plateformes numériques. Cette décision marque un tournant majeur, en affirmant la primauté du droit successoral national sur les clauses contractuelles des géants du numérique qui prévoyaient l’intransmissibilité des comptes.
Périmètre et catégorisation des actifs numériques transmissibles
La définition précise du périmètre successoral numérique constitue l’étape initiale indispensable à la rédaction d’un pacte efficace. La loi du 7 octobre 2023 distingue quatre catégories d’actifs numériques transmissibles qui structurent l’architecture juridique du pacte.
La première catégorie concerne les actifs financiers dématérialisés, incluant les cryptomonnaies, les NFT (Non-Fungible Tokens) et autres jetons numériques. Leur valeur fluctuante et leur nature extraterritoriale posent des défis d’évaluation que le pacte doit anticiper. La jurisprudence fiscale récente (CE, 26 avril 2024, n°467329) a précisé les modalités d’intégration de ces actifs dans l’assiette des droits de succession, en retenant comme valeur de référence la moyenne des cours sur les trois mois précédant le décès.
La deuxième catégorie englobe les données à caractère personnel du défunt. Le pacte doit ici concilier le droit à l’oubli posthume avec la préservation de la mémoire numérique. La CNIL, dans sa recommandation n°2024-057 du 12 janvier 2024, préconise l’adoption d’une approche différenciée selon la sensibilité des données concernées. Le pacte peut ainsi prévoir des directives anticipées numériques distinctes pour les données médicales, financières, professionnelles ou intimes.
La troisième catégorie recouvre les contenus créatifs produits par le défunt : œuvres littéraires, artistiques, photographiques, audiovisuelles diffusées en ligne. Ces créations, souvent dispersées sur différentes plateformes, bénéficient de la protection du droit d’auteur qui se prolonge 70 ans après le décès. Le pacte successoral numérique permet d’organiser la dévolution des droits patrimoniaux afférents et de désigner un exécuteur testamentaire numérique chargé de les faire valoir.
Cas particulier des comptes utilisateurs et abonnements
La quatrième catégorie, particulièrement complexe, concerne les comptes utilisateurs et abonnements sur les plateformes en ligne. Le pacte doit prévoir leur sort selon trois modalités possibles :
- La transmission intégrale du compte avec identifiants et contenus
- La mémorisation du compte (transformation en mémorial numérique)
- La suppression définitive des données
Le décret d’application n°2024-178 du 29 février 2024 a instauré un registre national des directives numériques qui centralise les volontés exprimées dans le pacte successoral. Ce registre, consultable par les plateformes sur réquisition judiciaire, renforce l’opposabilité des dispositions prises par le défunt.
Formalisme et procédure d’établissement du pacte
L’efficacité du pacte successoral numérique repose sur un formalisme rigoureux, condition sine qua non de sa validité juridique. Contrairement au testament olographe, ce pacte requiert l’intervention d’un officier public pour sa rédaction et sa conservation. Le décret n°2023-1786 du 28 décembre 2023 a fixé les modalités pratiques de son établissement.
La procédure débute par un audit numérique patrimonial réalisé par un notaire spécialisé ou un conseiller en patrimoine numérique certifié. Cet audit vise à recenser exhaustivement les actifs concernés et à évaluer leur valeur estimative. La circulaire du Conseil Supérieur du Notariat du 15 janvier 2024 recommande l’utilisation d’un logiciel dédié permettant l’interrogation automatisée des principales plateformes pour détecter les comptes rattachés à l’identité du disposant.
Le consentement des parties doit être formalisé selon un processus d’authentification renforcée. La signature électronique qualifiée, au sens du règlement eIDAS, est désormais obligatoire pour toutes les parties. Cette exigence technique assure l’intégrité du document et l’identification certaine des signataires, éléments déterminants pour son opposabilité future aux tiers.
Le contenu du pacte doit obligatoirement comporter plusieurs clauses standardisées dont l’absence entraînerait la nullité de l’acte :
- Une clause d’inventaire dynamique des actifs numériques avec mécanisme d’actualisation périodique
- Une clause de désignation du ou des exécuteurs testamentaires numériques avec leurs prérogatives précises
- Une clause de révision pour adaptation aux évolutions technologiques futures
L’enregistrement du pacte fait l’objet d’une procédure dématérialisée spécifique. Un exemplaire est versé au Fichier Central des Dispositions de Dernières Volontés (FCDDV) avec un identifiant unique permettant sa traçabilité. Simultanément, une empreinte cryptographique du document est inscrite dans la blockchain publique NOTARCHAIN, garantissant son intégrité et son horodatage certifié.
Depuis janvier 2025, le coût d’établissement d’un tel pacte bénéficie d’un tarif réglementé fixé par l’arrêté ministériel du 8 novembre 2024, avec un plafonnement à 450 euros hors taxes pour les patrimoines numériques inférieurs à 100 000 euros, auquel s’ajoutent les droits d’enregistrement proportionnels à la valeur des actifs concernés.
Mécanismes de sécurisation technique et fiducie numérique
La sécurisation technique du pacte successoral numérique repose sur une architecture à plusieurs niveaux, combinant solutions cryptographiques et arrangements fiduciaires. Le premier défi concerne la transmission sécurisée des clés d’accès aux différents actifs numériques, particulièrement critique pour les cryptomonnaies dont la perte des clés privées entraîne l’inaccessibilité définitive des avoirs.
Le système de fiducie numérique posthume, introduit par le décret n°2024-356 du 19 avril 2024, offre un cadre juridique adapté à cette problématique. Ce mécanisme permet au disposant de transférer la propriété technique de ses actifs numériques à un fiduciaire (établissement bancaire spécialisé ou prestataire de services sur actifs numériques agréé par l’AMF) qui les gérera jusqu’à leur transmission effective aux bénéficiaires désignés. Cette solution résout l’écueil majeur de la temporalité entre le décès et la prise de possession des actifs par les héritiers.
Sur le plan technique, plusieurs protocoles de sécurisation peuvent être implémentés dans le pacte :
Le protocole Shamir’s Secret Sharing (SSS) permet de fractionner les clés d’accès entre plusieurs dépositaires de confiance, nécessitant un quorum prédéfini pour reconstituer la clé complète. Cette approche, validée par la jurisprudence (CA Paris, 14 mars 2024, n°23/15782), évite la concentration des risques tout en garantissant la récupération des accès même en cas de défaillance d’un des dépositaires.
Les coffres-forts numériques certifiés ANSSI constituent une autre solution plébiscitée. Ces environnements sécurisés, soumis à des audits réguliers, permettent le stockage chiffré des identifiants et mots de passe avec un système de déblocage conditionnel. Le pacte peut prévoir l’ouverture automatisée du coffre sur présentation d’un certificat de décès numérique émanant du registre d’état civil électronique.
Pour les actifs reposant sur la technologie blockchain, le pacte peut intégrer des smart contracts programmant le transfert automatique des avoirs numériques aux bénéficiaires désignés. La startup française LegacyChain a développé une solution spécifique homologuée par la Caisse des Dépôts, permettant l’exécution conditionnelle de ces transferts après vérification multi-source du décès via des oracles blockchain connectés aux registres d’état civil.
Ces dispositifs techniques doivent s’accompagner de mesures de continuité face à l’obsolescence technologique. Le pacte doit prévoir des clauses d’adaptation technique et désigner un mandataire chargé d’effectuer les migrations nécessaires pour maintenir l’accessibilité des actifs numériques, quelle que soit l’évolution des protocoles et standards utilisés.
L’exécution transfrontalière : défis et solutions pratiques
La dimension internationale des actifs numériques constitue l’un des défis majeurs du pacte successoral numérique. La localisation souvent indéterminée des serveurs hébergeant ces actifs et la diversité des législations applicables complexifient considérablement l’exécution des dispositions posthumes.
Le Règlement européen sur les successions (n°650/2012) offre un cadre partiellement harmonisé au sein de l’Union européenne, en consacrant le principe d’unité de la succession. Toutefois, son application aux actifs numériques reste sujette à interprétation. L’arrêt de la CJUE du 7 mai 2024 (C-265/23) a apporté des précisions cruciales en qualifiant les cryptomonnaies de biens incorporels localisés au lieu de résidence habituelle de leur détenteur, facilitant ainsi la détermination de la loi applicable.
Pour les plateformes établies hors Union européenne, notamment aux États-Unis, le Cloud Act américain entre parfois en conflit avec les dispositions du RGPD et du droit successoral français. Le pacte doit anticiper ces contradictions normatives en prévoyant des clauses de droit international privé adaptées. La désignation explicite du droit français comme loi applicable, conformément à l’article 22 du Règlement Rome I, renforce l’opposabilité des dispositions aux prestataires étrangers.
La pratique notariale a développé des solutions opérationnelles face à ces difficultés. Le recours à des mandataires postmortem localisés dans les juridictions concernées permet d’exécuter les dispositions du pacte en respectant les procédures locales. Ces mandataires, généralement des avocats spécialisés, interviennent comme relais juridiques pour faire valoir les droits des héritiers auprès des plateformes étrangères.
Les accords de coopération judiciaire internationale peuvent être mobilisés en cas de contentieux transfrontalier. La convention de La Haye du 2 juillet 2019 sur la reconnaissance et l’exécution des jugements étrangers, récemment ratifiée par la France, facilite l’exécution des décisions judiciaires relatives aux successions numériques dans les États signataires.
Pour les cryptoactifs, le Travel Rule imposé par le GAFI (Groupe d’Action Financière) depuis juin 2023 et transposé en droit français par l’ordonnance du 28 septembre 2023, oblige les prestataires à vérifier l’identité des bénéficiaires lors des transferts. Cette obligation renforce la traçabilité successorale des actifs mais impose d’anticiper dans le pacte les procédures de conformité KYC (Know Your Customer) que devront accomplir les héritiers pour recevoir effectivement les cryptomonnaies.
Le patrimoine numérique face à l’immortalité virtuelle
Au-delà des aspects strictement patrimoniaux, le pacte successoral numérique doit désormais aborder la question inédite de l’immortalité virtuelle. Les progrès fulgurants de l’intelligence artificielle générative permettent aujourd’hui de créer des avatars posthumes reproduisant la personnalité, la voix et l’apparence du défunt à partir de ses données numériques accumulées.
Cette dimension éthique trouve désormais un encadrement juridique dans la loi du 15 mars 2025 relative à la dignité numérique post-mortem, qui reconnaît un droit à l’autodétermination posthume. Le pacte successoral peut ainsi comporter des clauses spécifiques autorisant ou interdisant la création d’un double numérique après le décès, et définissant précisément les usages autorisés de l’identité virtuelle du défunt.
Les implications psychologiques et sociologiques de cette persistance numérique sont considérables. Le deuil numérique se trouve profondément modifié par la possibilité d’interactions continues avec une simulation du défunt. Le pacte successoral doit dès lors envisager la temporalité de cette présence virtuelle : perpétuation indéfinie, extinction programmée ou modalités intermédiaires.
Sur le plan économique, les revenus générés par l’exploitation posthume de l’identité numérique constituent un nouvel enjeu successoral. Les hologrammes de célébrités décédées donnant des concerts virtuels illustrent le potentiel commercial de ces technologies. Le pacte doit prévoir la répartition de ces revenus futurs et désigner les titulaires des droits d’exploitation de l’identité numérique persistante.
Les recours juridiques en cas d’utilisation non autorisée de l’identité numérique du défunt se développent. La jurisprudence récente (TGI Paris, 12 février 2025, n°24/09876) a reconnu aux héritiers la qualité pour agir contre l’exploitation commerciale non consentie d’un avatar posthume généré par IA, en fondant cette action sur l’atteinte à la mémoire du défunt. Le pacte peut utilement désigner un mandataire spécifiquement chargé de la veille et de la protection de l’identité posthume.
Cette dimension immatérielle de la succession numérique révèle la nécessité d’une approche holistique du patrimoine mémoriel. Au-delà des considérations techniques et juridiques, le pacte successoral numérique devient l’instrument d’une forme d’autodétermination existentielle prolongée, permettant à chacun de configurer sa présence ou son absence dans le monde numérique après sa disparition physique.
