L’article L145-90 et la réglementation des baux commerciaux : une perspective

L’article L145-90 du Code de commerce occupe une place centrale dans la réglementation des baux commerciaux en France. Cette disposition légale, souvent méconnue, joue un rôle déterminant dans l’encadrement des relations entre bailleurs et preneurs de locaux commerciaux. Son interprétation et son application ont des répercussions significatives sur la gestion des baux, les droits et obligations des parties, ainsi que sur la stabilité du tissu économique local. Examinons en détail les tenants et aboutissants de cet article fondamental.

Contexte historique et juridique de l’article L145-90

L’article L145-90 s’inscrit dans le cadre plus large du statut des baux commerciaux, dont les origines remontent au décret du 30 septembre 1953. Ce texte fondateur visait à protéger les commerçants locataires face aux propriétaires, dans un contexte d’après-guerre marqué par la reconstruction économique. L’objectif était de garantir une certaine stabilité aux entreprises en leur assurant le droit au renouvellement du bail et en encadrant les conditions de ce renouvellement.

Au fil des années, la législation a évolué pour s’adapter aux réalités économiques changeantes. L’article L145-90, introduit par la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises (dite loi Pinel), s’inscrit dans cette continuité. Il apporte des précisions et des ajustements au régime existant, notamment en ce qui concerne les modalités de révision du loyer et les obligations des parties.

La place de cet article dans le Code de commerce n’est pas anodine. Il se situe dans le Livre Ier (Du commerce en général), Titre IV (Du fonds de commerce), Chapitre V (Du bail commercial), Section 6 (Des procédures collectives). Cette position témoigne de son importance dans l’articulation entre le droit des baux commerciaux et le droit des entreprises en difficulté.

Les principes fondamentaux de l’article L145-90

L’article L145-90 énonce plusieurs principes fondamentaux :

  • La possibilité pour le bailleur de demander la résiliation du bail en cas de procédure collective du preneur
  • Les conditions dans lesquelles cette résiliation peut être prononcée
  • Les délais et modalités de mise en œuvre de cette résiliation
  • Les conséquences de la résiliation sur les droits du preneur et du bailleur
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Ces principes visent à établir un équilibre entre la protection du commerçant locataire et les intérêts légitimes du propriétaire, tout en prenant en compte la situation particulière des entreprises en difficulté.

Analyse détaillée des dispositions de l’article L145-90

L’article L145-90 du Code de commerce stipule que le bailleur peut demander la résiliation judiciaire ou faire constater la résiliation de plein droit du bail commercial pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement d’ouverture d’une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire.

Cette disposition introduit une nuance importante par rapport au régime général des baux commerciaux. En effet, elle permet au bailleur d’agir plus rapidement en cas de défaillance du preneur, lorsque celui-ci fait l’objet d’une procédure collective. Cependant, cette possibilité est encadrée par plusieurs conditions :

  • Le défaut de paiement doit concerner des loyers et charges postérieurs au jugement d’ouverture
  • La demande de résiliation ne peut être formée qu’au terme d’un délai de trois mois à compter dudit jugement
  • Le bailleur ne peut agir qu’au terme d’un délai d’un mois après un commandement de payer resté infructueux

Ces conditions visent à préserver un équilibre entre la nécessité de protéger les droits du bailleur et celle de donner une chance à l’entreprise en difficulté de se redresser. Elles s’inscrivent dans la logique plus large du droit des entreprises en difficulté, qui cherche à favoriser la continuité de l’activité économique tout en préservant les intérêts des créanciers.

Implications pratiques pour les bailleurs et les preneurs

Pour les bailleurs, l’article L145-90 offre une protection accrue en cas de défaillance du preneur faisant l’objet d’une procédure collective. Il leur permet d’agir plus rapidement pour récupérer leur bien ou obtenir le paiement des loyers dus. Cependant, ils doivent respecter scrupuleusement les délais et procédures prévus par la loi, sous peine de voir leur action rejetée.

Pour les preneurs, cette disposition représente une contrainte supplémentaire en cas de difficultés financières. Elle les incite à accorder une priorité au paiement des loyers et charges postérieurs au jugement d’ouverture, sous peine de voir leur bail résilié. Néanmoins, les délais prévus par la loi leur offrent une certaine marge de manœuvre pour tenter de redresser leur situation.

Jurisprudence et interprétations de l’article L145-90

Depuis son introduction, l’article L145-90 a fait l’objet de nombreuses interprétations jurisprudentielles. Les tribunaux ont été amenés à préciser la portée et les modalités d’application de cette disposition, contribuant ainsi à en affiner la compréhension et l’utilisation.

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Une des questions récurrentes concerne la notion de « défaut de paiement ». La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que le défaut de paiement devait être apprécié de manière stricte. Ainsi, un retard de paiement, même minime, peut justifier la mise en œuvre de la procédure de résiliation prévue par l’article L145-90, dès lors que les conditions de délai sont respectées.

Une autre problématique fréquemment abordée concerne l’articulation entre l’article L145-90 et les autres dispositions du droit des entreprises en difficulté. Les juges ont dû déterminer comment concilier la possibilité de résiliation offerte au bailleur avec les principes de gel des créances et d’interdiction des paiements propres aux procédures collectives.

Cas d’espèce et décisions marquantes

Plusieurs décisions de justice ont marqué l’interprétation de l’article L145-90 :

  • Arrêt de la Cour de cassation du 12 mars 2018 : précise que le délai de trois mois prévu par l’article L145-90 court à compter du jugement d’ouverture et non de la première échéance impayée
  • Jugement du Tribunal de commerce de Paris du 5 septembre 2019 : affirme que la résiliation de plein droit prévue par l’article L145-90 n’est pas automatique et doit être constatée par le juge
  • Arrêt de la Cour d’appel de Lyon du 15 janvier 2020 : rappelle que l’article L145-90 s’applique uniquement aux procédures de sauvegarde et de redressement judiciaire, à l’exclusion de la liquidation judiciaire

Ces décisions ont contribué à clarifier l’application pratique de l’article L145-90, offrant ainsi une plus grande sécurité juridique aux acteurs concernés.

Impact économique et social de l’article L145-90

L’article L145-90 a des répercussions significatives sur le tissu économique et social, en particulier dans le contexte des centres-villes et des zones commerciales. En offrant aux bailleurs une possibilité accrue de résilier les baux en cas de défaillance du preneur, cette disposition peut avoir des effets contrastés.

D’un côté, elle peut contribuer à une rotation plus rapide des locaux commerciaux, permettant potentiellement l’installation de nouvelles entreprises plus dynamiques. Cela peut favoriser le renouvellement du tissu commercial et l’adaptation aux évolutions des besoins des consommateurs.

De l’autre, elle peut accentuer la fragilité des entreprises en difficulté, en particulier les petits commerces et les artisans, qui constituent souvent l’âme des centres-villes. La menace d’une résiliation rapide du bail peut compromettre les efforts de redressement et accélérer la disparition de certains commerces de proximité.

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Conséquences sur l’aménagement du territoire

L’application de l’article L145-90 peut avoir des implications sur l’aménagement du territoire et la vitalité des centres urbains :

  • Risque d’augmentation de la vacance commerciale à court terme
  • Possibilité de renouvellement plus rapide du tissu commercial
  • Pression accrue sur les commerçants en difficulté
  • Potentielle modification de la structure commerciale des quartiers

Ces effets doivent être pris en compte par les collectivités locales et les acteurs de l’urbanisme commercial dans leurs stratégies de revitalisation des centres-villes et de gestion des zones d’activité.

Perspectives d’évolution et enjeux futurs

L’article L145-90, bien qu’ayant apporté des clarifications importantes dans la gestion des baux commerciaux en cas de procédure collective, soulève encore des questions et des défis pour l’avenir. Plusieurs pistes d’évolution sont envisageables pour améliorer son efficacité et son adéquation aux réalités économiques actuelles.

Une première piste concerne l’adaptation de cet article aux nouvelles formes de commerce, notamment le e-commerce et les concepts hybrides mêlant vente physique et en ligne. La notion même de local commercial pourrait être amenée à évoluer, nécessitant peut-être une redéfinition du champ d’application de l’article L145-90.

Une autre réflexion porte sur l’équilibre entre la protection des bailleurs et celle des preneurs. Dans un contexte économique incertain, marqué par des crises récurrentes (sanitaires, économiques, géopolitiques), il pourrait être nécessaire de repenser les délais et les conditions de mise en œuvre de la résiliation prévue par cet article.

Pistes de réforme et propositions

Plusieurs propositions ont été avancées pour faire évoluer l’article L145-90 :

  • Introduire une modulation des délais en fonction de la taille de l’entreprise ou de son secteur d’activité
  • Renforcer les mécanismes de médiation entre bailleurs et preneurs avant toute procédure de résiliation
  • Intégrer des critères de responsabilité sociale et environnementale dans l’appréciation des situations de défaillance
  • Adapter les dispositions aux spécificités des nouvelles formes de commerce et d’entrepreneuriat

Ces pistes de réflexion s’inscrivent dans une démarche plus large de modernisation du droit des baux commerciaux, visant à l’adapter aux enjeux économiques, sociaux et environnementaux du 21e siècle.

En définitive, l’article L145-90 du Code de commerce joue un rôle crucial dans la régulation des relations entre bailleurs et preneurs de locaux commerciaux, particulièrement dans le contexte délicat des procédures collectives. Son application et son interprétation continuent d’évoluer au gré des décisions de justice et des mutations économiques. Les enjeux futurs liés à cette disposition légale sont nombreux et complexes, reflétant les défis plus larges auxquels font face le commerce de proximité et l’aménagement urbain. Une réflexion continue sur son adaptation aux réalités contemporaines s’avère nécessaire pour maintenir un équilibre juste et efficace entre les intérêts des différentes parties prenantes.