L’article L145-99 du Code de commerce régit la résiliation du bail commercial en cas de reprise pour habitation. Cette disposition légale offre au propriétaire la possibilité de mettre fin au contrat de location afin de récupérer les lieux pour y habiter ou y loger certains proches. Cependant, l’exercice de ce droit est encadré par des conditions strictes visant à protéger les intérêts du locataire commerçant. Examinons en détail les modalités d’application de cet article et ses implications pour les parties concernées.
Conditions d’application de l’article L145-99
L’article L145-99 du Code de commerce ne peut s’appliquer que dans des circonstances spécifiques. Pour invoquer ce motif de résiliation, le bailleur doit remplir plusieurs conditions cumulatives :
- Le bail doit être un bail commercial soumis au statut des baux commerciaux
- Le bailleur doit être une personne physique
- La reprise doit être effectuée pour habiter personnellement ou faire habiter certains proches
- Le congé doit être délivré au moins six mois avant l’expiration du bail
Il est primordial de noter que cette disposition ne s’applique pas aux personnes morales propriétaires. Seuls les bailleurs personnes physiques peuvent s’en prévaloir. De plus, la notion d’habitation est interprétée strictement par la jurisprudence. La reprise ne peut être invoquée pour y exercer une activité professionnelle ou commerciale.Le délai de préavis de six mois minimum est impératif. Un congé délivré tardivement serait considéré comme nul et ne produirait aucun effet. Ce délai vise à laisser au locataire un temps suffisant pour trouver un nouveau local et organiser son déménagement.
Personnes pouvant bénéficier de la reprise
L’article L145-99 précise les personnes au profit desquelles la reprise peut être exercée :
- Le bailleur lui-même
- Son conjoint
- Ses ascendants
- Ses descendants
- Les ascendants ou descendants de son conjoint
Cette liste est limitative. La reprise ne peut être invoquée au profit d’autres membres de la famille (frères, sœurs, etc.) ou de tiers. La jurisprudence interprète strictement ces dispositions pour éviter tout détournement de la loi.
Procédure de résiliation et formalités
La mise en œuvre de l’article L145-99 obéit à une procédure précise que le bailleur doit scrupuleusement respecter sous peine de nullité.
Délivrance du congé
Le congé doit être délivré par acte extrajudiciaire, généralement par exploit d’huissier. Il doit contenir, à peine de nullité, les mentions suivantes :
- L’identité complète du bailleur
- Les motifs de la reprise
- L’identité du bénéficiaire de la reprise
- La nature des liens unissant le bailleur au bénéficiaire (si différent)
Le congé doit être clair et non équivoque quant à la volonté du bailleur de reprendre le local. Toute ambiguïté pourrait être interprétée en faveur du locataire.
Délais à respecter
Outre le délai de préavis de six mois minimum, d’autres délais doivent être pris en compte :
- Le congé ne peut être délivré que pour le terme du bail ou à l’expiration d’une période triennale
- La reprise effective doit intervenir dans un délai de six mois suivant le départ du locataire
Ce dernier délai vise à s’assurer de la réalité du projet d’habitation et à éviter les reprises abusives.
Indemnité d’éviction
Contrairement à d’autres motifs de résiliation, la reprise pour habitation n’ouvre pas droit à une indemnité d’éviction pour le locataire. Cette particularité s’explique par la nature personnelle du motif de reprise.
Droits et obligations des parties
L’application de l’article L145-99 engendre des droits et obligations spécifiques pour le bailleur et le locataire.
Obligations du bailleur
Le bailleur qui invoque la reprise pour habitation s’engage à :
- Occuper personnellement le local (ou le faire occuper par le bénéficiaire désigné)
- Maintenir cette occupation pendant une durée minimale de trois ans
- Ne pas relouer le local à usage commercial pendant cette période
Le non-respect de ces engagements expose le bailleur à des sanctions, notamment des dommages et intérêts au profit du locataire évincé.
Droits du locataire
Face à un congé pour reprise, le locataire dispose de plusieurs droits :
- Contester la validité du congé devant le tribunal
- Demander des délais pour quitter les lieux (jusqu’à 6 mois supplémentaires)
- Exiger la preuve de la réalité de l’occupation après son départ
Le locataire peut notamment contester la réalité du projet d’habitation s’il dispose d’éléments laissant penser à une reprise abusive.
Contentieux et jurisprudence
L’application de l’article L145-99 a donné lieu à un contentieux nourri, permettant à la jurisprudence de préciser certains points.
Appréciation de la réalité du projet d’habitation
Les tribunaux se montrent vigilants quant à la réalité du projet d’habitation. Ils n’hésitent pas à sanctionner les reprises frauduleuses visant en réalité à évincer le locataire pour d’autres motifs. L’appréciation se fait au cas par cas, en tenant compte de divers éléments :
- La situation personnelle du bailleur ou du bénéficiaire
- L’adéquation du local avec les besoins d’habitation invoqués
- L’existence d’autres biens immobiliers appartenant au bailleur
Sanctions en cas de non-respect des engagements
La jurisprudence a précisé les sanctions applicables en cas de non-respect par le bailleur de ses engagements :
- Dommages et intérêts au profit du locataire évincé
- Possibilité pour le locataire de réintégrer les lieux
- Dans certains cas, nullité de la résiliation et continuation du bail
Ces sanctions visent à dissuader les bailleurs de recourir abusivement à ce motif de résiliation.
Interprétation stricte des conditions légales
Les juges interprètent strictement les conditions posées par l’article L145-99. Par exemple :
- La reprise au profit d’un concubin ou partenaire de PACS n’est pas admise
- L’occupation partielle ou temporaire du local est insuffisante
- La transformation du local en habitation doit être effective et rapide
Cette rigueur jurisprudentielle vise à préserver l’équilibre entre les intérêts du bailleur et la protection du locataire commerçant.
Perspectives et évolutions possibles
L’article L145-99 du Code de commerce, bien qu’ancien, continue de soulever des questions et pourrait connaître des évolutions.
Adaptation aux nouvelles formes de famille
Une réflexion pourrait être menée sur l’élargissement des bénéficiaires potentiels de la reprise, pour tenir compte des évolutions sociétales (familles recomposées, PACS, etc.).
Encadrement renforcé des reprises
Face aux abus constatés, un renforcement des conditions de la reprise pourrait être envisagé :
- Allongement du délai minimal d’occupation après reprise
- Mise en place d’un contrôle a priori de la réalité du projet d’habitation
- Instauration d’une indemnité compensatrice pour le locataire évincé
Articulation avec les politiques de logement
La reprise pour habitation pourrait être mise en perspective avec les enjeux actuels de logement dans les centres-villes :
- Favoriser la mixité fonctionnelle des quartiers
- Lutter contre la vacance commerciale
- Encourager la transformation de locaux commerciaux en logements
Une réflexion globale sur ces enjeux pourrait conduire à une refonte plus large du régime des baux commerciaux.En définitive, l’article L145-99 du Code de commerce illustre la recherche d’un équilibre délicat entre le droit de propriété du bailleur et la protection du locataire commerçant. Son application continue de susciter des débats, témoignant de la complexité des enjeux en présence dans le domaine des baux commerciaux.